ZAD, un endroit oĂč respirer
Je me permets dâajouter mon petit avis Ă la tonne d'autres. Tout d'abord, j'aimerais dire que je tiens beaucoup Ă pouvoir amener une discussion nuancĂ©e qui je l'espĂšre pourra dĂ©passer le clivage basique et manichĂ©en des Fachos Vs les Gauchos.
PremiĂšrement, jâai Ă©tĂ© employĂ© dâHolcim, pas trĂšs longtemps, mais suffisamment pour comprendre un peu comment ça marche. Le rĂ©sumĂ© rapide... Cette entreprise est une grosse machine, les tailles et les volumes de matĂ©riaux transformĂ©s sont gigantesques. Les halles, les moulins, les fours sont des titans insatiables qui travaillent 24h sur 24 pilotĂ©s par des robots. Le POLABÂź fait des analyses qui ajustent Ă la minute prĂšs les paramĂštres de la console de pilotage. Tout ce qui est produit est homogĂšne et calibrĂ©. Toutes les nuits ce sont des trains remplis de montagnes qui partent je ne sais oĂč. Câest que tout ça doit ĂȘtre utilisĂ© quelque part ! Ce gigantisme et cette prĂ©cision sont fascinants et effrayants Ă la fois. Dans les fours, tout brĂ»le, les pneus, le calcaire, les capsules Nespresso, tout. Jâai travaillĂ© quelque mois dans cette grosse machine ou mon travail Ă©tait lâangle mort des automates. Je nâai jamais eu autant lâimpression d'ĂȘtre remplaçable. Une parcelle organique dans cette immensitĂ© de bĂ©ton. En attente que la technologie soit suffisamment efficace et rentable pour que je sois dĂ©finitivement remplacĂ©. Les collĂšgues devaient partager au moins en partie mon sentiment. Pourquoi rester ? Pour lâargent, c'est tout ? AprĂšs ça je suis parti, ça me tapait sur les nerfs. Quand jâai appris quâune ZAD s'Ă©tait implantĂ©e sur la colline.
Je me suis dit que c'Ă©tait juste ce quâil manquait Ă l'espace militant. Enfin de l'expĂ©rimentation sociale et politique en Suisse Romande. Jâavoue avoir pensĂ© Ă une ZAD sur cette colline, mĂȘme en avoir discutĂ© avec des copains en disant que ça serait chouette. Il faut dire que le lieu est vraiment exceptionnel pour ça, tous les ingrĂ©dients sont lĂ . Une biodiversitĂ©, un paysage, un lieu historique et une multinationale mĂ©canique et dĂ©sincarnĂ©e. Est-ce que je partage toutes les idĂ©es des gens qui ont lancĂ© ça ? Bien sĂ»r que non et câest tant mieux.
Câest ça aussi une ZAD câest un endroit de rencontre, de dĂ©bat. Les vĂ©gans, les fĂ©ministes, les anti-flics, les pacifistes, les grand-mamans, les anarchistes, les chrĂ©tiens, les bouddhistes, tout le monde est lĂ . Câest ça qui nâest pas toujours facile Ă faire comprendre aux gens qui ne l'ont pas vu, câest un endroit multiple ou la gĂ©nĂ©ralisation est impossible. La confrontation entre une entreprise optimisĂ©e jusqu'Ă la moelle dans laquelle tout est Ă sa place et une bande de militants foutraque, entre des cocos qui font les fous et une phalange de policiers en rang, ce n'est pas Ă©quitable, mais câest pas grave.
Le but maintenant, c'est de comprendre qu'une ZAD câest une bouffĂ©e d'oxygĂšne, et si je ne suis pas pour remplacer l'Ă©tat, paf !, par un gros merdier autogĂ©rĂ©, la sociĂ©tĂ© a quand mĂȘme besoin de ces petits laboratoires d'idĂ©es et de pratique que sont les zones Ă dĂ©fendre. Les dĂ©fis climatique et social que les prochaines dĂ©cennies vont apporter ne peuvent trouver de solution que dans l'altĂ©ritĂ©, les angles morts et les interstices de notre sociĂ©tĂ© nĂ©o-capitaliste globalisĂ©e technicienne. Les zones Ă dĂ©fendre offrent ce pas de cĂŽtĂ©, cet autre regard pour voir quels sont les acquis que lâon veut garder et le superflu qui nous encombrent.
Ce texte a Ă©tĂ© Ă©crit aprĂšs lâĂ©vacuation de la ZAD de la colline du Mormont.